Argumentaire
pour un accès gratuit aux études supérieures

Si cet argumentaire prône un accès gratuit aux études supérieures,
il ne peut passer sous silence le sous-financement actuel des études primaires, secondaires et collégiales
qui constitue à lui seul une sérieuse barrière à l'accès aux études supérieures.
Une situation qui doit aussi être dénoncée.

ONU Haut commissariat

L'enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l'instauration progressive de la gratuité;

Article 13 c) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels
Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme

Stétoscope

Rapport Parent
  • l'étudiant apporte déjà une contribution incontestable au coût de ses études, en travaillant pendant l'été, et en se privant de gagner... p.205
  • le bénéfice social des études universitaires a plus de poids que le bénéfice individuel p.205
  • les diplômés d'université rembourseront, et au-delà, la société de ce qu'elle aura fait pour eux parce que, gagnant plus, ils paieront des impôts plus élevés... p.205
  • la suppression des droits universitaires diminuerait la dépendance de l'étudiant vis-à-vis de ses parents, et lui donnerait par conséquent une plus grande liberté pour choisir lui-même sa carrière, en toute indépendance... p.205
  • s'il lui faut emprunter une somme assez élevée avant d'avoir droit à une bourse, un étudiant qui n'a pas de ressources hésitera davantage avant d'entreprendre des études à l'institut ou à l'université... p.230

Recommandation 115 : Nous recommandons qu'au niveau universitaire, bien que la gratuité scolaire soit souhaitable à long terme, les frais de scolarité soient maintenus. p. 238

Rapport Parent
Rapport de la Commission royale d'enquête sur l'enseignement dans la province de Québec
Volume 5, Chapitre 11, 1966

 






1- De l'importance de faciliter l'accès aux études supérieures

Nous sommes entrés dans une ère où la formation postsecondaire d'une fraction importante de la population est devenue l'assise incontournable du développement de la société et des individus. Dans un tel contexte, l'accès aux études supérieures devrait être conçu comme un droit et non comme un privilège tarifé.1

L'augmentation de la scolarisation des membres de notre société, leur accès à des emplois de meilleure qualité et leur contribution financière et sociale au mieux-être collectif sont profitables à tous. Selon Emploi-Québec, le nombre d'emplois requérant une formation universitaire a augmenté de près de 30 % entre 1999 et 2009.2

Indépendamment du gel ou non des frais de scolarité, on peut considérer que les études coûtent déjà plus cher aux moins fortunés. Ces derniers sont plus susceptibles de devoir s'endetter; ils doivent vivre dans des conditions souvent plus difficiles; ils sont parfois tenus d'allonger la durée de leurs études parce qu'ils doivent occuper un emploi, le plus souvent précaire et mal payé. Il y a là un coût de renonciation qui peut en faire hésiter plus d'un. Une hausse de quelques dollars est plus difficile à assumer dans ce cas.3

En fait, avec la hausse prévue, les étudiant·e·s devront travailler deux fois plus longtemps que dans les années 1970 pour payer leurs études.4

Dans les pays nordiques, l'accès universel à une éducation gratuite va de soi. Pourquoi? Parce que l'éducation est l'investissement par excellence dans l'avenir d'une société. Au Danemark, en Norvège et en Suède, en plus de ne pas avoir à payer de droits de scolarité, tous les élèves reçoivent une bourse mensuelle pour couvrir une partie de leurs frais de subsistance. Cela se traduit évidemment par des impôts plus élevés, mais une éducation gratuite réduit les inégalités sociales et profite à la fois aux individus et à la société dans une perspective à long terme. Une population instruite est synonyme d'un État fort et stable, préparé pour l'avenir.5



2- De l'impact de la hausse des droits de scolarité sur la fréquentation universitaire

En fait, nous conformer à la moyenne canadienne des droits de scolarité priverait 30 000 étudiant·e·s de l'accès aux études universitaires. Hausser le prix de l'électricité en réduirait la consommation, mais une hausse du prix des études n'en affecterait pas la demande ?6

Au début des années 1990, le gouvernement du Québec a imposé une hausse importante des droits de scolarité. Les statistiques du ministère de l'Éducation établissent que le taux d'accès à l'université a alors connu une baisse notable. [...] le taux d'accès a diminué de plus de 5 % entre 1992-1993 et 1997-1998, alors que pendant les périodes de gel des droits qui ont précédé et suivi cette hausse, ce taux a maintenu une croissance marquée.7

La proportion d'étudiantes et d'étudiants en provenance de régions éloignées ou de quartiers pauvres, ou moyennement pauvres, est au Québec de 22 % plus élevée qu'ailleurs au Canada. N'est-ce pas là un gain précieux ? Selon le Journal of Higher Education, pour chaque augmentation de 1000 $ des droits de scolarité, la proportion d'étudiantes et d'étudiants moins nantis - susceptibles de persister et de terminer leurs études - baisse de 19 %, toutes disciplines confondues.8

Comme l'a montré le précédent britannique, les étudiant·e·s seront forcé·e·s de travailler davantage tout en étudiant, d'où une réduction de leur assiduité et de la qualité de leur apprentissage. À la suite d'une hausse importante des frais de scolarité en 2005, le nombre d'étudiant·e·s à temps plein occupant un emploi au Royaume-Uni est passé de 406 880 à 630 718, soit une augmentation de 54 %. Dans de telles conditions, les étudiant·e·s ne bénéficiant pas des bourses réservées à une minorité doivent se contenter du strict minimum des lectures mises au programme. Cette contrainte affecte particulière- ment les jeunes issu·e·s de la classe moyenne.9



3- De la rentabilité financière de la diplomation du plus grand nombre

Selon la dernière étude disponible (décembre 2008) sur «Le taux de rendement du baccalauréat: pour les diplômés et pour l'État10», réalisée par Marius Demers, économiste au ministère de l'Éducation, le détenteur d'un diplôme universitaire va payer au cours de sa vie active énormément plus d'impôts et de taxes que les non-diplômés.11

D'après cette étude, le diplômé type d'un bac verse pendant sa vie active (17 à 64 ans) la somme de 916 043 $ en taxes et impôts.12

C'est 379 187 $ de plus que le détenteur type d'un diplôme d'études collégiales. Par rapport au détenteur d'un diplôme d'études secondaires, l'écart grimpe à 503 668 $. Et face au non-diplômé de l'école secondaire? Rien de moins que 644 277 $.13

Uniquement en 2007, l'État s'est privé de 950 M $ de revenus pour accorder aux particuliers une baisse d'impôt qui a spécialement favorisé les mieux nantis. En comparaison, réaliser la gratuité scolaire ne coûterait que 700 M $.14

L'exemple de Renaud et Bouret

Faute d'avoir étudié, Renaud aurait gagné deux fois moins d'argent que Bouret... et il aurait payé quatre fois moins d'impôts. Car pendant des décennies, pendant toute sa carrière, Bouret aura versé au fisc, bon an mal an, 10 000 $ de plus que l'aurait fait Renaud. Tout ça parce que l'État a eu l'ingénieuse idée de subventionner les études universitaires de Bouret, à raison de 10 000 $ par an, pendant à peine quatre ans. Existe-t-il un investissement plus rentable pour un État en mal de recettes fiscales ?

Renaud use autant les routes que Bouret, ses enfants fréquentent la même école et bénéficient des mêmes services médicaux. Seulement voilà, Renaud n'a eu à payer que 20 % de la facture. C'est Bouret, grâce à ses études subventionnées, qui a financé le reste. Qu'on n'y voit aucune condescendance : il s'agit simplement de mettre en lumière un des principaux mécanismes de la justice sociale.15



4- De la capacité de l'État de financer l'accès gratuit aux études supérieures

Évaluation de ce que coûterait la gratuité des études supérieures : 700 M $16

Coût de certaines mesures budgétaires décrétées
au cours de la dernière décennie17
Mesures Budget Coût
Indexation des paliers d'imposition 2000-2001 2 G $
Réduction des taux d'imposition 2001-2002 1,2 G $
Réduction d'impôt 2006-2007 950 M $
Élimination progressive de la taxe sur le capital 2007-2008 890 M $

L'évasion et l'évitement fiscaux, par le biais des paradis fiscaux, permettent à de nombreux individus, parmi les plus fortunés, de ne pas payer leur part d'impôts. Un accord de « double imposition » entre le Canada et la Barbade, par exemple, a fait de ce dernier pays - un paradis fiscal - la deuxième destination des investissements canadiens, après les États-Unis, ce qui permet de soutirer d'importantes sommes à l'impôt sans être embêté. Malgré certaines déclarations des Libéraux et des Conservateurs, rien n'a été fait pour empêcher efficacement les fuites fiscales.18

Comme si ce n'était pas assez, le gouvernement fédéral a signé un accord de libre-échange avec la Colombie19, paradis des narcotrafiquants, et encore plus discrètement, en mai 2010 une entente de libre-échange avec Panama20, l'un des paradis fiscaux les plus populaires.

En 1964, dans le budget du Québec, les compagnies contribuaient pour 62 % aux impôts et taxes sur le revenu et sur le capital et les particuliers pour 38 %. En 2009, la contribution des individus passe à 79 %, celle des entreprises à 21 %.21

Sur le site Internet d'Investissement Québec, on tente d'attirer des investisseurs étrangers en leur disant qu'ici, ils jouiront des taux d'imposition parmi les plus bas en Amérique du Nord22 et que le taux d'impôt des sociétés sera en plus réduit de 3 % d'ici 2012. Et la taxe sur le capital pour l'ensemble des entreprises sera éliminée avant 2011.

Lors du dernier budget provincial présenté par Monique Jérôme-Forget, on constatait que les sociétés d'État, principalement Hydro-Québec, contribuaient davantage à la caisse de l'État (4,7 G$) que l'ensemble des entreprises privées du Québec (3,2 G$).23 Par contre, le Québec est le champion canadien de l'aide aux entreprises. L'État consacre en moyenne 3,6 G$ par an pour soutenir les entreprises de la province. Le double de ce que l'Ontario verse.24

Renaud Lachance, vérificateur général, a révélé que de 2002 à 2008, sur 22 entreprises minières, 14 n'ont versé aucune redevance au gouvernement. Leur production avait une valeur brute de 4 milliards de dollars.25 Et Québec leur a consenti, de généreux avantages fiscaux de 624 millions. Pas étonnant que l'Institut Fraser ait qualifié le Québec de paradis ultime de l'industrie minière sur la planète.



5- Des dangers de cette forme de commercialisation du savoir

L'imposition de droits de scolarité élevés transforme l'éducation en produit [...] Ultimement, seuls les individus fortunés pourront profiter d'une éducation « haut de gamme » forcément plus chère.26

En transformant les étudiants en clients, on introduit plusieurs moyens de pression permettant de dégrader fortement l'excellence de l'enseignement, et par là même l'excellence de la recherche, qui rappelons-le repose avant tout sur les étudiants. Les clients achètent leur diplôme, et ils s'attendent donc à l'obtenir, même s'ils n'ont pas le niveau. Ensuite, l'université a tout intérêt à garder ses clients, puisqu'ils constituent leur principale source de financement. La pression se transmet aux professeurs, qui doivent réduire le taux d'attrition au maximum. Dans ces conditions, pourquoi faire échouer un client à un examen, puisque cela réduirait les ressources de notre département et de notre université, allant à l'encontre de l'intérêt du professeur ?27

Selon Chomsky - on sait que les frais de scolarité sont dramatiquement élevés aux États-Unis : « Si, pour aller à l'université, vous devez contracter une dette importante, vous serez docile. Vous êtes peut-être allé à l'université avec l'intention de devenir un avocat qui défend des causes d'intérêt public; mais si vous sortez de là avec une dette de 100 000 $, vous devrez aller travailler dans un bureau d'avocats pratiquant le droit corporatif. »28



6- De l'incongruité de certaines décisions

Comment avoir l'air de lutter contre le décrochage scolaire tout en rendant l'accès aux études supérieures encore plus difficile ?
Comment mettre en garde la population contre un niveau d'endettement inquiétant tout en forçant les étudiants à s'endetter davantage ?
Pourquoi l'étudiant devrait-il être obligé de s'endetter pour être en mesure de fournir plus tard des services ESSENTIELS à la société qui l'« accueille » ?



7- En guise de conclusion

Il faut donc non seulement s'opposer aux hausses de droits de scolarité, mais aussi réaffirmer l'importance du caractère public et non marchand des universités, afin que la connaissance serve l'autonomie individuelle et collective, la pensée critique et la transmission du patrimoine intellectuel plutôt qu'une simple valorisation du marché.29

Paul Krugman a écrit « En France, la conjonction de la gratuité de l'enseignement et le soutien financier public permet aux jeunes des familles à faibles revenus de se concentrer sur leurs études, tandis qu'en Amérique, ils doivent se déscolariser ou travailler pour payer leurs études. Ce qui paraît être une vertu et non un vice, du système français. Pas surprenant que la France obtienne un taux de diplomation bien supérieur au nôtre. »30 Paul Krugman n'est ni communiste, ni anarchiste, simplement économiste, chroniqueur au New York Times et prix Nobel d'économie en 2008.

De la violence et de la hausse des droits de scolarité

Il ne s'agit pas ici d'un appui à la violence, mais d'une opposition à la hausse des droits de scolarité.
Il faut être conscients de cette triste réalité : cotes d'écoute obligent, entre 200 000 manifestants calmes et une vingtaine de casseurs, les caméras et les micros de nos médias oublieront les premiers au profit de ces derniers.
Comment peut-on accepter que les gestes posés par un petit groupe de casseurs puissent nous faire oublier les revendications de milliers d'étudiants manifestant paisiblement dans la rue, et ce, depuis près de trois mois ?
Devrait-on condamner tous les amateurs de sports parce les derniers défilés de la coupe Stanley ont aussi été accompagnés de vitrines brisées, de vandalismes et d'arrestations policières ?

Des querelles intergénérationnelles

« Ce ne sont que des enfants-rois qui ne pensent qu'à eux, qui veulent tout avoir gratis ! Avec leur I-Pod, leur I-Phone, leur I-Pad, leur voiture...»

« Les baby-boomers sont partis avec la caisse, ils jouissent aujourd'hui de retraites dorées après avoir eu des conditions de travail béton et une sécurité d'emploi à toute épreuve. Pour s'être payé tout ça, ils nous ont laissé une province surendettée. »

Même discours, même objectif : transformer une lutte pour une meilleure répartition de la richesse en une querelle entre générations.





 1- (↑) Argumentaire à propos des droits de scolarité en enseignement supérieur, Fneeq
 2- (↑) Argumentaire à propos des droits de scolarité en enseignement supérieur, Fneeq
 3- (↑) Argumentaire à propos des droits de scolarité en enseignement supérieur, Fneeq
 4- (↑) Faut-il vraiment augmenter les frais de scolarité ? IRIS, p. 14
 5- (↑) Les syndicats étudiants du Danemark, de la Norvège et de la Suède 27-06-2012 IRIS, p. 14
 6- (↑) Faut-il vraiment augmenter les frais de scolarité ? IRIS, p. 15
 7- (↑) Faut-il vraiment augmenter les frais de scolarité ? IRIS, p. 16
 8- (↑) Argumentaire à propos des droits de scolarité en enseignement supérieur, Fneeq
 9- (↑) Faut-il vraiment augmenter les frais de scolarité ? IRIS, p. 11
10-  (↑) Taux de rendement du baccalauréat..., Marius Demers, Direction de la recherche, des stat. et de l'sinfo.
11- (↑) Combien ça rapporte, un diplômé? Michel Girard économiste, La Presse du 2 avril 2012
12- (↑) Combien ça rapporte, un diplômé? Michel Girard économiste, La Presse du 2 avril 2012
13- (↑) Combien ça rapporte, un diplômé? Michel Girard économiste, La Presse du 2 avril 2012
14- (↑) Faut-il vraiment augmenter les frais de scolarité ? IRIS, p. 17
15- (↑) Renaud Bouret, économiste
16- (↑) Faut-il vraiment augmenter les frais de scolarité ? IRIS, p. 17
17 (↑) Faut-il vraiment augmenter les frais de scolarité ? IRIS, p. 17
18- (↑) Argumentaire à propos des droits de scolarité en enseignement supérieur, Fneeq
19- (↑) Accord de libre-échange Canada-Colombie
20- (↑) Accord de libre-échange Canada-Panama
21- (↑) L'autre déséquilibre fiscal, Chaire d'études socio-économiques, p. 3
22- (↑) Parmi les taux d'imposition les plus bas en Amérique du Nord, Investissement Québec
23- (↑) D'où vient l'argent ? Radio-Canada
24- (↑) Le Québec, champion des subventions aux entreprises, Canoe-Argent
25- (↑) La compétitivité avant l'imputabilité, Radio-Canada
26- (↑) Argumentaire à propos des droits de scolarité en enseignement supérieur, Fneeq
27- (↑) Lettre ouverte au Premier ministre du Québec, Hervé Philippe, Professeur titulaire, UdeM
28- (↑) Je ne suis pas une PME et Le journal des alternatives, Normand Baillargeon
29- (↑) Faut-il vraiment augmenter les frais de scolarité ? IRIS, p. 19
30- (↑) L'Amérique que nous voulons, Krugman Paul, p. 309




Publicité du parti libéral du Québec - 1960

  1. Considérer l'instruction, à tous les degrés, comme problème familial et responsabilité provinciale.
  2. Gratuité scolaire totale - de la petite école à l'université inclusivement - pourvu que l'étudiant ait le talent et la volonté requis.
  3. Gratuité des manuels scolaires dans toutes les écoles publiques.
  4. Allocation de soutien couvrant logement, pension et vêtement - selon les besoins de l'étudiant.

Le Devoir, le 5 juin 1960

Jean-Yves Proulx, retraité de l'enseignement

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